Lorsque j’étais gosse, le rideau automnal était à peine tombé sur la saison de pêche que mon matériel était en ordre pour l’ouverture suivante. Passion d’enfant que m’avait inculquée mon grand-père en m’emmenant à la rivière avec lui. Il connut les temps glorieux des cannes en bambou et du crin de cheval. Il m’a transmis son savoir, son envie de profiter de ces contacts avec la nature.
Lorsque le vieil homme fut trahi par sa vue et ses jambes, je pris le pli de toujours repasser chez lui après avoir taquiné le poisson. Pour lui raconter ‘sa’ Biesmes, toujours aussi belle, lui narrer l’humeur de la truite, bougonne, prudente, vorace ou combattante. Allongé dans son fauteuil, il m’écoutait presque religieusement. Souriait, parfois. J’entrevois la bobine d’images que lui déroulait son esprit, palliant ainsi les carences de ses yeux, abimés à retardement par les carences alimentaires des camps allemands.
Aujourd’hui, ce grand-père héros repose dans la terre qui l’a vu naître. Et moi, son ‘gamin’, je perpétue son souvenir au bord de l’eau. Plus dans ce beau ruisseau dont les berges ont été cannibalisées par un propriétaire, mais bien dans les étangs séculaires d’Oignies, alimentés par cette même rivière. Il m’y avait aussi emmené sur son vieux scooter pétaradant.
Ce samedi 24 mars 2012, nous y sommes. J’ai passé la quarantaine et… mon matériel n’est pas prêt. Dans quel état sont mes gaules ? Ai-je encore des bas de ligne ? On verra, rien ne presse. La sagesse l’emporte sur l’excitation d’autrefois.
Subsiste le plaisir. Intact. Inaltérable. Le froid du petit matin, la brume, les bruits et odeurs de Dame Nature. Le ressourcement, tout simplement. Ma pêche n’est pas marseillaise. Elle ne m’oblige pas à rapporter plus de poissons, forcément plus gros, que ceux de mes amis et voisins. Elle cultive plaisir et sérénité.
Dans l’eau trop humide de Renaud et la cabane du pêcheur de Cabrel, je me retrouve. Saviez-vous que Louis De Funès était amateur du genre ? Comment ne pas partager avec vous une citation de cet acteur grandiose : « Il n’y a rien de plus beau que de pêcher un peu de silence. »