C’est l’histoire d’un mec…


Coluche aurait commencé son récit par c’est l’histoire d’un mec… qui a l’immense privilège de devoir prendre quotidiennement le bus 95 de la STIB. Il paraît, selon leur slogan, que c’est leur boulot de nous emmener au boulot. Un éclair de lucidité leur a probablement conseillé de ne pas rajouter à l’heure. La 95, la merveilleuse ligne que voilà, celle du suspense quotidien. Passera, passera pas ? Bus court ou long ? Bondé ou pas ? Un, deux ou trois à la fois ? Faites vos jeux, rien ne va plus.

Bref, le mec en question avait été retenu par ses obligations professionnelles. Il n’en caressait pas moins l’espoir d’encore pouvoir attraper son train. Pas de bol, cependant, un bus lui file sous le nez. Heureusement, un deuxième arrive pratiquement aussitôt. Situation courante sur la ligne du suspense. Vous attendez comme Sœur Anne durant vingt minutes, puis deux bus arrivent coup sur coup.

Le mec s’engouffre donc dans le deuxième, le regard fixé sur sa montre. Sens de la réflexion et temps qui s’écoulent lui assènent la sentence : tu vas le rater ce foutu train ! Pour une fois, ça l’arrangerait qu’il ait du retard, veuillez l’en excuser. Puis germe l’idée folle… si le deuxième bus rattrape le premier, sauter de l’un à l’autre pour gagner, qui sait, une phase de feu rouge et quelques précieuses minutes. Avec un peu d’audace, la mission n’a rien d’impossible même s’il s’agissait, à l’époque de cette anecdote, des anciens bus à deux portes. Après tout, Tom Cruise fait ça entre deux avions, lui !

La  manœuvre aura lieu devant la gare du Luxembourg. Tout se goupille, les deux bus se suivent. Le premier s’arrête et dégorge son flot de navetteurs. Le mec essaye tant bien que mal de sortir du deuxième. C’est là que surgit le grain de sable dans la belle mécanique échafaudée. Il a pris la forme d’une gentille mama africaine aussi haute que large, aussi lente qu’indécise. Elle s’installe devant la porte et hésite à monter. Viva la mama…  Le mec force un peu le passage dans la jolie robe à fleurs multicolores qui s’impose à lui. Il est sur le trottoir. Trop tard, la porte du premier bus s’est refermée et il redémarre aussitôt. Battre en retraite ? Raté ! L’autre vient, lui aussi, de larguer les amarres. En langage populaire, ça s’appelle être Gros-Jean comme devant.

C’est dans l’adversité que se révèlent les réserves insoupçonnables. La frustration décuple la force, comme l’incroyable Hulk et ses chemises déchirées (elle a dû pester bien des fois, la femme de David Banner…) En rage, la mallette à l’épaule, le mec entame un long sprint derrière le bus qu’il vient de quitter. Objectif : le reprendre à l’arrêt suivant. Il coupe la place du Luxembourg en diagonale, slalome entre les taxis. Pas prudent pour un sou, l’usager faible de la route ! Il arrive cependant en même temps que ‘son’ bus à l’arrêt. Et il remonte dedans, préférant éviter le regard des autres occupants. Un fou qui quitte un véhicule pour courir derrière, ce n’est pas fréquent. La mama africaine n’a jamais su pourquoi le mec lui a fait des yeux noirs le reste du trajet. Ni, ô  miracle, qu’il l’a finalement eu, son fichu train…
Célèbre morale de l’histoire ? Rien ne sert de courir, il faut partir à temps, comme disait l’autre.

Au fait, l’histoire bien belge de ce mec, ce ne serait pas la mienne ?

A propos bendupuis

Passionné d'actu, de sports et de lectures historiques. For the rest, who cares ?
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